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vendredi 29 septembre 2017

Valse des gouverneurs en Russie: la jeune technocratie dévore la veille garde politique



Ces derniers jours, la politique intérieure russe a été marquée par toute une vague de départs, plus ou moins volontaires, de gouverneurs dépassant la soixantaine. Ils furent tous remplacés par la nouvelle génération de cadres issus de la réserve présidentielle, ayant à peine dépassé la quarantaine et n'ayant en général aucune expérience ni politique, ni de gestion locale. L'époque est au rajeunissement, en espèrant que la jeunesse devienne un gage de compétence. Fantasme ou réalité? La confrontation à la réalité quotidienne des besoins impérieux des populations locales sera un baptême du feu révélateur. Mais dans tous les cas, il s'agit d'un virage idéologique important.


Quand le scénario grippe

Le scénario était bien rodé par l'Administration présidentielle: le Kremlin annonçait la démission du gouverneur, il était remercié pour son travail, partait vers de nouvelles occupations et gros plan sur la jeune relève, dynamique, compétente, le nouveau visage du pays, celui dont le dynamisme doit être contagieux à la région entière. La mode est à la rénovation, des bâtiments et des hommes. jeunesse des visages, mais nouveauté des idées? Le rapport n'est pas automatique.

Ce scénario fonctionna pour trois gouverneurs. Une exception au remplacement par des personnes n'ayant aucune expérience de gestion locale concerne la région de Samara. Nikolaï Merkouchkine (67 ans), à la tête de cette région depuis 2012 et ayant avant cela plus d'une dizaine d'années d'expérience à la tête de la région de Mordovie a été "de sa propre volonté" démis de ses fonctions par anticipation le 25 septembre. Il est remplacé par l'ex-maire de Samara, Dmitri Azarov, 47 ans, devenu sénateur en 2014 justement avec l'aide de Merkouchkine. L'élève a dévoré le maître.

Pour les autres, les remplaçants ont un profil très "théorique". Le gouverneur de la région de Nijni Novgorod, Valery Chantsev, en place depuis 2012 et élu en 2014 avec 86% des voix, a été lui aussi démis de ses fonctions "de sa propre initiative" le 26 septembre. Il est remplacé par Gleb Nikitine, 40 ans, premier vice-ministre du commerce, ayant fait sa carrière dans les ministères, donc n'ayant aucune expérience ni locale, ni du terrain, avec un profile de technocrate et non de politicien D'autant plus surprenant que les résultats du gouverneur sortant sont bons dans la région...

Le gouverneur de la région Nenets, Igor Kochine, en poste depuis 2014, a été remplacé le 28 septembre par Alexandre Tsyboulsky, technocrate de 38 ans, vice-ministre de l'économie, ayant fait sa carrière dans les départements administratifs fédéraux et les ministères. Nous verrons comment il gèrera l'hiver, les théorêmes libéraux n'étant pas suffisants pour répondre aux besoins des habitants.

Selon Vedomosti, ces deux remplaçants ont en commun d'être très proches de la corporation étatique Rostekh, y aurait-il collusion entre business et politique? Ce serait surprenant ...

Mais le scénario s'est grippé avec des poids lourds politiques, des individus qui ne considèrent pas leur fonction locale comme technique, mais politique. A Krasnoïarsk, le gouverneur  Viktor Tolokonsky, 64 ans, qui pensait terminer son mandat, a pris les devant et a annoncé lui-même le 27 septembre son départ. Il a déclaré de manière très émotionnelle: je pars, je suis déjà sur le départ, je n'ai pas l'habitude de ne pas terminer ce que j'ai commencé et encore des projets sont en instance, mais il faut, c'est très difficile pour moi. A ce jour, rien n'a été confirmé par le Kremlin, qui s'est retrouvé face au mur. Le remplaçant pressenti est le directeur de l'Agence fédérale de gestion des biens de l'Académie des sciences (FANO), Mikhail Kotioukov, 40 ans, qui lui n'a strictement aucune expérience politique, sinon celle du dépeçage de la plus grande institution scientifique du pays. 

La plus forte sortie fut celle du gouverneur du Daghestan, Ramzan Abdoulatipov, vieux requin politique de 71 ans qui annonce ce jour-là aussi son départ. Convoqué en urgence à l'Administration présidentielle pour discuter de son départ et du choix de son remplaçant, R. Abdoulatipov a pris les devant et annoncé son départ lui-même, devant caméras et avec nombre d'interview. Officiellement, son âge, son raiting ... Il déclare que la mode est au remplacement par des individus encore "verts", il a décidé de suivre la vague des démissions et de ne pas gêner. Le candidat prévu à son remplacement est effectivement particulièrement "vert" en matière de politique locale, il s'agit du premier vice-directeur de Rosguardia, Sergueï Medikov. Lui a 52 ans et une carrière purement dans les forces de l'ordre et militaire. S'il s'agit de développer le potentiel économique de la région , le choix laisse perplexe. S'il s'agit des impératifs liés au terrorisme, cela semble plus cohérent. Mais est-il nécessaire pour cela de nommer un "commandant militaire" à la tête de la région?

Les paroles de R. Abdoulatipov sont très fortes:
Il y a des gens à Moscou qui en marchant tondent les lapins. On a déjà souffert par leur faute dans les années 90. Et il est dommage qu'ils conduisent le Président à certaines décisions impopulaires. Mais la décision du Président pour nous est une loi, parce que le Président n'aurait pas pris cette décision sans la volonté du Très Haut. Il ne nous appartient pas, comme aux gens qui respectent leur foi, de résister à Cette volonté."
Qui sont "ces gens"? En fait, il s'agit d'une personne très précise, le nouveau directeur du département de la politique intérieure à l'Administration présidentielle, S. Kirienko. Cette personne est le pure produit du clan néolibéral russe, mais fidèle à V. Poutine, à moins qu'il ne soit simplement fidèle au vainqueur. Nous avions développé la manière dont les milieux néolibéraux avaient lancé sa candidature lors du départ de V. Volodine vers celui de speaker de la Douma (voir ici). Rappelons que Kirienko était le Premier ministre de Eltsine le plus jeune - et le plus bref. Il fut en place lors du crash financier de 1998, qu'il n'a pu gérer et Primakov, moins jeune mais d'un autre calibre, a sorti le pays de la faillite. Or, ce même "homme providentiel libéral" a été nommé le 5 octobre 2016 à un poste-clé de l'Administration présidentielle (voir notre article ici) - et l'on voit déjà de nombreux changements ...

Pourquoi cette valse des gouverneurs?

Le problème du développement des régions russes est une réalité. Tout autant que le comportement féodal des certains gouverneurs, qui se considèrent dans leur fief, attendent du Centre le versement des dotations qu'ils estiment pouvoir utiliser comme bon leur semble. C'est incontestable. Mais ce qui se passe ces jours-ci, d'autant plus que d'autres départs sont attendus, soulèvent quelques questions.

Il s'agirait, selon le porte-parole du Kremlin, d'un processus normal de rotation des gouverneurs. Certains de ces gouverneurs ont été élus récemment, et en principe ils ne sont plus nommés. Par exemple, Chantsev a été élu avec 86% des voix par les habitants de la région de Nijni Novgorod en 2014 et son mandat n'est pas terminé. Même si officiellement ils partent de leur plein gré, personne n'est dupe, ce n'est pas eux qui prennent ces décisions, mais l'Administration présidentielle. Or, ces décisions signifient que l'élection populaire n'a aucune signification, car "Moscou" a d'autres intérêts stratégiques à défendre au niveau local et l'Administration présidentielle réduit à néant le principe électoral même, ne respecte pas l'opinion publique. Dans ce cas, pourquoi ennuyer les gens à aller voter, ils ont eux-aussi autre chose à faire. Autant, à nouveau, supprimer l'élection des gouverneurs, qui de toute manière est caricaturale.

L'autre effet collatéral, en plus du discrédit du principe électoral, est de totalement réduire le poids politique des gouverneurs. Les gens respectent les personnes forte, pas les exécutants. Quelle influence sur les groupes locaux peut avoir un gouverneur qui peut être rappelé à tout moment par le centre s'il ne réussi pas à s'imposer? C'est un cercle viscieux et non vertueux.

En plus de la manière dont les choses sont faites, il y a un problème sur le fond. Les explications fournies laissent songeur. Il s'agirait, toujours selon le porte-parole du Kremlin, de personnes jeunes, talentueuses et de grands professionnels. Certes. Mais pas en matière de politique locale. Ils s'agit de gestionnaires, de technocrates pas de politiques. Les régions ont effectivement besoin d'une meilleure gestion, mais ces jeunes formatés au néolibéralisme vont être confrontés non pas à l'organisation de forums économiques et d'investissement, non pas au développement de l'intelligence artificielle, mais, par exemple, à l'absolue nécessité de garantir le bon état des canalisations d'eau chaude dans la région des Nenets au climat particulièrement rude, à la nécessité d'y organiser une économie lorsque la région est bloquée toute une partie de l'année. Il va falloir gérer l'état de routes, le financement des salaires, la politique des logements, etc. Est-ce une naïveté de croire que cette caste de cadres post-modernes va être apte à gérer les problèmes quotidiens des habitants, sans avoir aucune expérience en la patière? Au départ, ils vont évidemment bénéficier des ressources administratives du Kremlin, mais après il faudra bien faire le travail. D'une certaine manière, c'est un très bon baptême du feu: de la théorie à la pratique. Ou bien s'agit-il, mais l'on peut en douter, dans la logique de la guerre des clans idéologiques qui touche la Russie, d'une manière de mettre face à leurs responsabilités les enfants du néolibéralisme, moins dangereux dans les régions qu'à Moscou? Ce qui, dans tous les cas, est vrai.

Tout cela n'explique de toute manière pas le fondement de cette rotation soudaine, de personnes qui ont la soixantaine et qui, pour certains, n'étaient en place que depuis 5 ans dans la région. Est-ce là une nouvelle doctrine politique intérieure, la rotation régulière et le rajeunissement des dirigeants, doctrine qui va alors s'imposer à toutes les sphères du pouvoir? Si seules la jeunesse et l'inexpérience étaient une garantie de compétence, les choses seraient certainement beaucoup plus simple, d'autant plus que certains des gouverneurs débarqués avaient de bons résultats sur le terrain. Le choix est donc idéologique, mais produira-t-il de bons résultats politiques? A suivre. 


8 commentaires:

  1. Nenets: "lorsque la région est bloquée toute une partie de l'année."
    En fait non l’été est très court...
    S'il est effectivement impossible de circuler dans la tundra ("marais") et de traverser les rivières en été.
    L'hiver vous trouverez les fameuses "zimnicks" comme par exemple entre Narian Mar et Usinsk.
    Il existe une route permanente entre Usinsk et un peu au delà du cercle polaire mais ensuite la liaison n'est uniquement possible qu'en hiver.

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  2. Poutine verrouille tout simplement en prévision des élections à venir.

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  3. Les russes font comme tout le monde, pas mieux pas pire. La France est dirigée par un président de 38 ans, ancien banquier, et par une majorité de nouveaux députés qui sont incapables d'expliquer, à des journalistes qui les interviewent, en quoi consiste le travail d'un élu.
    "En politique, on succède à des imbéciles et on est remplacé par des incapables" (Georges Clémenenceau).

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  4. Moi je vois plutôt une façon de mettre la cinquième colonne le nez dans son caca...et une fois le bilan fait, de justifier le limogeage pour incompetence.

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    1. Je pense que l'auteur du blog a été dérangé par ma réponse.
      Pas de souci.

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    2. Je ne vois pas de quoi vous parlez. Vous pouvez préciser? Merci.

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  5. Voici le commentaire que j'ai fait sur reseauinternational point net
    Une autre version pourrait expliquer cette valse. Je ne parlerai que de ce que je connais de façon certaine Samara et Niznhy.
    Ces gouverneurs étaient franchement mauvais, favorisaient la corruption, orduriers envers le personnel. Parlons de Samara. Le gouverneur de Samara était tellement mauvais que toute une équipe d’universitaires, de professionnels ont voulu révéler les malversations, mais au péril de leur vie pour certains et de la maladie à cause des pressions pour d’autres. Une vraie mafia autour du gouverneur.
    Bref, de cela je tire la conclusion que Poutine fait le ménage autour de la corruption.Et à choisir entre un technocrate et un corrompu, il n’y a pas photo. Si certains se retirent vite fait, c’est qu’ils savent que Poutine connait leurs actions.
    Ensuite au sujet des compétences des personnes choisies. Ce n’est pas eux qui font le travail, il y a des gens bien plus compétents en dessous qui ont souffert la tyrannie, il n’y a pas de doute que ces personnes continueront d’exercer leur travail mais avec plus de dynamisme encore.
    Je pense que Poutine a misé sur la formation en interne. Nous verrons.

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  6. En France, le président Macron a été propulsé au pouvoir par l'élite financière. Sa mission est de détruire la France et ce ne sont pas les incapables qui forment la majorité présidentielle qui vont l'en empêcher. Si ces jeunes russes occupent des postes clés dans le domaine politique, je suis sure que leur but est de défendre les intérêts de la Russie tandis que chez nous, la "république" qui descend des lumières (éteintes) ne défend aucun des intérêts que ce soient ceux du pays ou ceux du peuple qui dépendent étroitement l'un de l'autre.

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